L’entrée en fonction de l’administration Trump génère beaucoup d’incertitude auprès de nos grands exportateurs et PME, qui dépendent des marchés américains pour leurs ventes et approvisionnements. Depuis le début de l’année, diverses estimations de l’effet d’éventuels tarifs américains sur l’économie canadienne font état d’une chute potentielle du PIB canadien de 3 % à 6 % sur l’année qui suivrait leur imposition. Le ministre des Finances du Québec, M. Girard a également lui-même évoqué un impact négatif sur le taux de croissance du PIB québécois de l’ordre de 3 % advenant un tel scénario.
La FCCQ s’est rendue à Washington au cours de la semaine du 20 janvier pour faire entendre la voix de notre communauté d’affaires auprès des décideurs américains, mais aussi auprès de différents groupes économiques et d’entreprises des États-Unis. Nous avons également sondé depuis l’automne la communauté d’affaires québécoise concernant les impacts potentiels d’une guerre tarifaire entre le Canada et les États-Unis. Les résultats sont clairs : le Québec Inc. est inquiet, et s’attend à un leadership fort de la part du gouvernement du Québec.
Il est d’ailleurs important de rappeler que nous disposons d’atouts considérables pour convaincre le gouvernement, les industries et les entreprises américaines des bénéfices mutuels du commerce avec le Québec. Il faut jouer sur ces atouts dans le cadre de nos efforts de diplomatie commerciale. D’abord, près de 65 % des importations américaines d’aluminium brut proviennent du Québec et plusieurs des principaux États importateurs sont républicains : Ohio, Kentucky et Pennsylvanie, entre autres. Des tarifs sur l’aluminium québécois frapperaient durement les industries américaines de l’automobile, de l’aérospatiale, de la défense, de la construction, de l’emballage, du matériel électrique et de l’électronique.
Les États-Unis importent également du Québec au-delà de 4 G$ US de produits aérospatiaux annuellement. Parmi les principaux États importateurs, plusieurs États républicains : Texas, Ohio et Géorgie, notamment. Des tarifs sur les produits aérospatiaux québécois frapperaient durement les industries américaines des avions commerciaux, de la défense, du spatial, de l’avionique et de l’électronique, des drones et de la simulation de vol.
Enfin, le Québec possède au moins 20 % des réserves canadiennes de minéraux critiques et peut être un partenaire stratégique des États-Unis pour la sécurisation des chaînes d’approvisionnement nord-américaines dans le contexte d’un découplage face à la Chine. Dans ce contexte, la FCCQ recommande au gouvernement 10 mesures phares qui nous permettront de mieux soutenir nos entreprises et l’économie québécoise.
Nos recommandations
Les entreprises québécoises seraient durement touchées par les mesures tarifaires annoncées. Il est nécessaire d’agir sur trois fronts pour atténuer ces impacts : compenser la chute des revenus ; prioriser l’accès aux marchés publics ; préserver l’accès à de la main d’œuvre qualifiée.
En ce qui concerne ce premier front, mentionnons que le gouvernement fédéral canadien a déjà exprimé publiquement son intention d’imposer, comme en 2018 et 2020, des contre-mesures tarifaires sur certains produits américains en réplique aux tarifs qui seront appliqués sur les exportations canadiennes.
Nous sommes d’avis que cette liste provisoire doit être immédiatement soumise à la consultation de la communauté d’affaires, car il faut éviter que des contre-mesures tarifaires nuisent à nos importateurs et industries, comme cela a été le cas en 2018 avec l’imposition de contre-tarifs sur l’acier et l’aluminium américains.
Nous devons également exiger que l’entièreté des sommes tirées d’éventuelles contre-mesures tarifaires soit remise aux entreprises touchées. Le Québec devrait mettre en place un fonds de subventions d’urgence, capitalisé notamment par ces sommes mais auquel l’État québécois devra également contribuer directement, et mis à la disposition des entreprises québécoises les plus touchées par la guerre tarifaire. Cela permettrait de limiter des mises à pied, et l’accroissement des prix à la consommation.
Il faut urgemment promouvoir l’approvisionnement québécois et l’achat local. Trois chantiers permettraient de progresser sur ce plan. D’abord, il faut pousser plus loin la réforme des marchés publics, en assurant l’application systématique, par le CAG et les organismes publics, de la marge préférentielle de 10 % prévue à la Loi 18 pour les entreprises québécoises. Cette marge gagnerait à être augmentée, et les contrats octroyés majoritairement en fonction de critères autres que celui du plus bas soumissionnaire.
Deuxièmement, il faut renforcer l’initiative portée par l’OBNL Les produits du Québec, notamment en reconnaissant officiellement ces marques de certification en tant que critères qualificatifs dans le cadre de l’octroi des contrats d’approvisionnement public. Il serait aussi pertinent de statuer rapidement sur l’applicabilité d’une réduction modulée du taux de la TVQ pour les produits certifiés, afin d’encourager l’achat local.
Enfin, il complémenter les efforts d’Investissement Québec en matière d’approvisionnement québécois, notamment en lui octroyant de nouvelles sommes destinées au développement du maillage entre contractants et fournisseurs et aux initiatives de substitution des importations. Il faut aussi envisager d’assujettir désormais le financement public (crédit, subventions, équité) offert aux entreprises, en particulier étrangères, à des exigences minimales d’approvisionnement québécois.
Nos entreprises ont été durement frappées, depuis l’été 2024, par de multiples changements aux règles et quotas applicables à l’embauche de travailleurs étrangers temporaires (TET). Alors que les tensions commerciales montent et que la rareté de main-d’œuvre persiste dans plusieurs secteurs, nos entreprises ont besoin de plus de flexibilité à cet égard. Le gouvernement doit appliquer un moratoire immédiat aux nouvelles restrictions liées à la rétention et au renouvellement des TET volet bas salaire (pour les travailleurs qui étaient au Canada avant le 26 septembre 2024).
Notre retard de productivité sur les USA est un risque stratégique important qui s’ajoute aux risques commerciaux. Cela est désormais d’autant plus important que la nouvelle administration américaine propose la déductibilité à 100 % des dépenses de R&D des entreprises. Nous encourageons le gouvernement à harmoniser son crédit à la RS&DE aux modifications proposées au palier fédéral. Le gouvernement devrait notamment :
La fiscalité corporative de la plupart des États américains est déjà plus avantageuse que celle du Québec et le sera bientôt encore davantage. L’impôt québécois sur le revenu des sociétés est actuellement de 11,5 %, alors qu’il se situe entre 0 % à 10 % dans la plupart des États américains. Dans la mesure où la prochaine administration américaine abaisse de nouveau le taux d’imposition fédéral à 15 %, équivalent au taux fédéral canadien, le Québec devra s’ajuster pour maintenir la compétitivité de son régime fiscal.
Les entreprises québécoises ont dû affronter un choc tarifaire de 6,5 % en 2023, 5,1 % en 2024, et possiblement de 3,9 % pour 2025. Cela contribue à la hausse de leurs coûts d’opération. Le projet d’indexation du bloc patrimonial mis de l’avant par le gouvernement aggraverait les choses. Dans le cas de la clientèle d’affaires, ce bloc est d’autant plus stratégique qu’il représente près de la moitié des coûts du tarif L, offert à la grande industrie afin d’assurer sa compétitivité face aux États-Unis. Que ce soit une fiscalité moins lourde, des coûts de main-d’œuvre moins élevés ou des règles environnementales moins strictes, nos compétiteurs dont les États-Unis misent sur leurs avantages. Le bas coût de l’électricité est l’un de nos principaux avantages et il doit être maintenu afin de préserver notre compétitivité industrielle.
Nous recommandons par ailleurs au gouvernement d’envisager des allégements temporaires au SPEDE (marché du carbone), qui permettraient de réduire les coûts qui y sont associés pour les grands industriels, qui seront également les premiers touchés par d’éventuels tarifs américains. Il pourrait notamment retarder le projet de règlement devant être présenté cet hiver, mais aussi décréter un moratoire sur la réduction des plafonds d’unités d’émissions pour 2025, ou allouer davantage d’unités gratuites aux entreprises à forte intensité d’émissions et exposées aux tarifs.
La FCCQ a salué la reconduction pour cinq années supplémentaires de l’Incitatif à l’investissement accéléré et de la passation en charge immédiate au fédéral. Il est important que le gouvernement y harmonise le régime fiscal québécois, puis qu’il redonne à nos entreprises l’avantage que constituait l déduction additionnelle de 30%, abolie le 1er janvier 2024. Le secteur de l’aluminium, susceptible d’être fortement affecté par les tarifs américains, devrait désormais être admissible à ces incitatifs.
Le commerce entre le Québec et le reste du Canada est en forte croissance depuis dix ans, et représente plus du tiers de notre commerce extérieur total. Certains de nos secteurs industriels clés en dépendent, comme dans le minier ou le laitier par exemple. Notre solde commercial avec le reste du Canada, à l’exception de l’Ontario, est positif. Or, le deux-tiers environ des exportations québécoises de biens vers le reste du Canada sont actuellement concentrées en Ontario, alors que près de la moitié de nos exportations de services sont destinées à d’autres provinces. Il faut trouver un meilleur équilibre, notre déficit commercial face à l’Ontario s’élevant à plus de 10 G$ dans le secteur des services. Par ailleurs, les barrières commerciales entre les provinces canadiennes sont largement plus importantes que celles qui existent entre les États américains. Il faut changer cela et renforcer notre marché intérieur. Selon la BNC, l’élimination des barrières commerciales intérieures au Canada pourrait faire grimper le PIB par habitant de 3,8 % au pays.
La diversification de nos exportations internationales doit aussi être un objectif clé, considérant notre forte dépendance envers le marché américain, qui rend notre économie vulnérable. Depuis une quinzaine d’années, cette dépendance s’est renforcée au lieu de se résorber, et ce malgré la signature de nouveaux accords de libre-échange avec l’Union européenne et les pays du PTPGP.
Dans le secteur manufacturier par exemple, la part de nos exportations internationales destinée à l’Union européenne est passé de 13 % à moins de 8 %, alors qu’elle passait de 70 % à 79 % aux États-Unis.
Dans ce contexte, le gouvernement doit rapidement mettre en place un programme de financement et d’accompagnement axé sur la diversification des exportations, qui ciblerait nos principaux exportateurs et parmi eux, ceux dont la dépendance envers le marché américain est la plus importante.
À court terme, on pourrait également envisager la création d’un fonds de garanties de prêts d’urgence visant à soutenir les entreprises exportatrices affectées par les tarifs américains, et souhaitant diversifier leurs marchés d’exportation au-delà des États-Unis, en particulier vers l’Union européenne ou les pays partenaires du PTPGP. Enfin, il sera important de débloquer les sommes nécessaires à la relance du Programme de soutien à la commercialisation et à l’exportation (PSCE), puis d’y inclure progressivement la diversification des marchés, au sein et au-delà des États-Unis, aux critères d’évaluation des demandes.