Lettres ouvertes
18 décembre 2020
Lettres ouvertes
18 décembre 2020
Le régime québécois d’indemnisation des lésions professionnelles est l’un des plus généreux dans le monde. Il faut en être fier, car nous devons soutenir adéquatement les victimes d’accidents dans nos milieux de travail.
En déposant le projet de loi 59, le ministre Jean Boulet répond à une demande conjointe des représentants d’employeurs et des représentants syndicaux québécois de dépoussiérer la façon dont nous gérons la santé et sécurité du travail.
Le projet de loi comporte toutefois des écueils majeurs susceptibles de venir miner l’équité du système.
Notre régime est ainsi conçu que plus un milieu de travail est risqué, plus les primes d’assurances payées par l’employeur sont élevées.
L’employeur est donc responsable des coûts associés aux situations qu’il aurait pu prévenir. On récompense donc les bons élèves en réduisant leur facture et à l’inverse, on pénalise les plus négligents en augmentant leurs cotisations au régime de la CNESST. Un juste système ancré sur le principe du « pollueur-payeur ».
Le système permet d’indemniser une victime d’une lésion professionnelle sans tenir compte de son bagage personnel, telle une blessure passée, qui pourrait l’avoir rendu plus vulnérable.
Partage des coûts
La CNESST étant entièrement financée à partir de cotisations des employeurs, ce sont eux qui doivent financer seuls cette indemnisation.
Pour corriger cette situation qui leur faisait supporter des coûts additionnels qui ne découlaient pas de la responsabilité des milieux de travail, les employeurs ont proposé et obtenu par le passé de mutualiser les coûts pour ce type d’évènements. La facture n’est ainsi pas assumée par un seul employeur, mais par l’ensemble des entreprises cotisantes à la CNESST, à même le fonds général.
D’autres juridictions sont allées plus loin pour corriger cette situation inéquitable, notamment l’Ontario, où l’employeur et le régime d’indemnisation des accidents ne couvrent que les conséquences attribuables aux conditions du milieu de travail.
Si, par exemple, une personne souffrant d’ostéoporose se blesse en faisant une chute, on ne peut pas imputer à l’employeur le coût supplémentaire découlant de la condition médicale particulière de l’employé. Le régime indemnise alors pour la période normale, souvent même un peu plus, que prendrait une personne en bonne santé pour se rétablir.
L’employabilité des personnes vulnérables en danger
Derrière les bonnes intentions évidentes du ministre du Travail visant à alléger la gestion du régime, certaines dispositions du projet de loi limiteront malheureusement la possibilité pour les employeurs d’obtenir un partage de coûts.
En restreignant la mutualisation des coûts pour ces situations hors du contrôle de l’employeur, le projet de loi 59 risque de nuire à l’embauche de personnes pouvant être plus susceptibles de subir un accident.
Sans ce partage des coûts, qui prendra la chance d’embaucher un travailleur ayant encore des séquelles d’un accident ou ayant une maladie pouvant laisser présager une convalescence plus longue si un évènement malheureux survenait? C’est pourtant pour favoriser l’employabilité de ces personnes que le gouvernement avait mis en place ces règles dans notre régime.
Il y a un risque réel que cette situation dégrade l’employabilité des personnes les plus vulnérables. Cette réalité a d’ailleurs été décriée non seulement par les associations patronales, mais également par les organismes voués à la défense des droits des personnes handicapées.
À défaut de corriger durablement les iniquités du système touchant les entrepreneurs, le ministre Boulet devrait à tout le moins faire marche arrière pour revenir au statu quo qui prévalait et qui permettait à notre régime de jouer son rôle d’assurance en mutualisant les risques associés à ces conditions personnelles.
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